À la porte de l’hiver nous observons dans les campagnes, les forêts ou nos jardins, une nature qui se fige, un peu nue, limite endormie. Dans ces milieux qui perdent leurs belles couleurs d’été et sont d’un silence démesuré, où sont donc passés leurs habitants à 6 pattes ? Ces insectes indispensables qui butinent les fleurs et qui nous aident au jardin, sont invisibles. Mais ont-ils disparus pour autant ?
Winter is coming
Beaucoup d’insectes de nos régions sont sédentaires et adaptés à la période hivernale qu’ils affrontent en adoptant diverses stratégies. D’autres insectes, plus frileux, ont cependant développé la capacité de fuir lorsque les conditions deviennent défavorables. Ce sont les insectes migrateurs.
Les insectes migrateurs
Non, les insectes migrateurs ne sont pas des insectes qui se grattent un seul côté. Quand il s’agit de « partir », on parle de migration. Si ce terme est généralement associé aux oiseaux, certains insectes ont également cette capacité. Leur migration est tout à fait étonnante car les insectes, par leur petite taille, ont bien plus de mal à parcourir de longues distances que les oiseaux.
Les obstacles pendant leur voyage sont nombreux et périlleux : intempéries, prédateurs, traversée des villes, pollution lumineuse et manque de nourriture. Partir ne s’avère finalement pas beaucoup plus faciles que d’affronter les conditions froides et humides de l’hiver.
Mais qui sont donc ces insectes voyageurs aux capacités si étonnantes ?
Quelques espèces sont en fait très communes. Vous les avez certainement déjà croisées dans votre jardin ou un parc. Ainsi, des libellules, papillons, syrphes, punaises, coccinelles et sauterelles préfèrent faire leurs valises.
La migration des papillons est l’une des plus documentées et concerne environ 300 espèces nocturnes et diurnes. L’exemple le plus souvent cité est celui du Monarque, une espèce américaine dont les migrations sont impressionnantes. Nos papillons européens ne sont cependant pas moins courageux et certaines espèces sont capables de se déplacer sur plusieurs milliers de kilomètres. C’est par exemple le cas de la Belle-dame, autrement appelée Vanesse des chardons. Chaque année ce sont plusieurs millions d’individus qui se déplacent sur plus de 4.000 km.
D’autres papillons de nos régions sont migrateurs : le Piéride du chou, le Flambé, le Vulcain, le Soufré, le Paon du jour, la Petite Tortue, le Moro sphinx ou encore le Sphinx du liseron.
S’aidant des courants de hautes altitudes pour avancer plus vite et à moindre effort, ils sont capables, à l’aide d’instruments internes ou de stimuli environnementaux, de corriger leur trajectoire de vol. Du fait de la longueur du voyage, et à cause de leur courte durée de vie, la migration se fait sur plusieurs générations.
Les papillons qui reviennent chez nous sont donc les descendants de ceux qui sont partis.
A gauche : papillon Belle-dame - à droite, papillon Paon du jour.
Le syrphe ceinturé, une mouche pollinisatrice dont la larve se nourrit de pucerons, fait lui aussi un voyage fantastique. Il quitte le nord de l’Europe pour passer l’hiver dans le sud de l’Espagne en franchissant un col des Pyrénées. Le col de Bujaruelo est d’ailleurs connu comme couloir migratoire et est emprunté par d’autres insectes comme des libellules, des abeilles, des fourmis et des pucerons.
Syrphe ceinturé.
La migration des insectes, bien qu’encore peu connue, concernerait plusieurs milliards d’individus chaque année dont 85 % seraient des pollinisateurs.
Les insectes sédentaires :
Les insectes peu enclins au voyage doivent affronter l’hiver. Ne trouvant pas de bonnet de laine à leur taille, la période hivernale est un moment difficile qu’ils vont passer de différentes manières. Un point commun est cependant observable : pendant l’hiver, l’activité des insectes est réduite à son minimum. Chez certaines espèces l’activité stoppe complètement, on parle alors de diapause.
En plus de ralentir au maximum leur métabolisme, certains insectes produisent une substance particulière dans leur hémolymphe (le sang des insectes) : du glycérol. Cet antigel naturel leur permet de survivre même si les températures sont très négatives.
La solidarité :
Chez les abeilles mellifères, les individus d’une ruche se regroupent autour de la reine. Leur activité est minime mais pas nulle. En effet, les ouvrières, en faisant fonctionner leurs muscles thoraciques, produisent de la chaleur qui est conservée grâce à la grappe qu’elles créent en se serrant les unes contre les autres. Les ouvrières à l’extérieur de la grappe sont plus exposées au froid mais pas d’inquiétude : une tournante se fait pour que tout le monde puisse se réchauffer. Pendant cette période elles épuisent leur réserve de miel et ne sortent que rarement. Avec cette technique, la température à l’intérieure de la colonie est maintenue à une moyenne d’environ 20°C.
D’autres insectes, même s’ils sont solitaires en d’autres temps, peuvent aussi se serrer les coudes afin de retenir un maximum de chaleur. C’est par exemple le cas de certaines coccinelles, dont la coccinelle asiatique. Au contraire des abeilles mellifères, les coccinelles entrent en diapause et ne se nourrissent pas pendant l'hiver.
S’abriter en solitaire :
De nombreux insectes préfèrent la jouer solo. Ils hivernent alors seuls en se mettant à l’abri sous la litière, sous une écorce ou encore dans des terriers. Nos coccinelles indigènes vont par exemple s’abriter sous des feuilles tandis que le bourdon terrestre cherchera une cavité souterraine.
Le passage de flambeau :
Tous les insectes ne vivent pas plusieurs années et assez peu passent l’hiver sous forme d’adulte. Pour ces espèces ce sont les autres stades qui vont traverser l’hiver. En fonction des espèces on pourra retrouver des œufs, des larves ou des chrysalides. Chez les abeilles sauvages par exemple, une majorité des espèces va passer la plus grande partie de leur cycle, dont l’hiver, dans le sol. D’autres abeilles vont préférer des cavités, des branches creuses, ou même des coquilles d’escargot vide ! Ces abeilles peuvent entrer en diapause à différents stades : larve, pupe ou imago. Ce fonctionnement se retrouve aussi chez d’autres groupes d’insectes.
Abeille sauvage (Andrena sp.) en fin de diapause dans son nid - photo : Pierre-Laurent Zerck.
Chez les insectes qui passent l’hiver au stade œuf, la mère aura pris le soin de pondre à l’abri dans le sol, sous une écorce ou dans une oothèque.
Pour citer un dernier exemple un peu particulier, il y a aussi les gales. Ces déformations rencontrées chez certaines plantes abritent en fait des larves de mouches, de guêpes ou d’hémiptères et peut les protéger de la période froide.
Toutes ces stratégies utilisent des procédés ingénieux et insoupçonnés. Elles témoignent de la richesse et de la diversité du monde qui nous entoure.
Qu’ils soient migrateurs ou sédentaires, nous pouvons aider les insectes à passer l’hiver mais aussi à s’y préparer.
Voici quelques conseils :
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Réserver un petit coin de nature sauvage dans votre jardin.
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Laisser à disposition des milieux d’accueil comme les anciens nids de rongeurs ou d’oiseaux, des vieux murs ou des tas de branches creuses …
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Semer des plantes mellifères et indigènes afin d’augmenter les sources de nectar et de pollen pour les pollinisateurs.
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Maximiser la diversité de plantes (herbacées, arbres et arbustes) afin de fournir des ressources tout au long de l’année.
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Ne pas utiliser de pesticides.
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Éteindre les lumières pendant la nuit.
Un article de Pierre-Laurent Zerck, conseiller technique pour les professionnels et de Delphine Pousseur, animatrice.
A noter : notre équipe d'animation dans les écoles propose une activité sur les insectes en hiver durant la période hivernale, pour les élèves de 1ère, 2ème et 3ème maternelles. Intéressé ? Retrouvez toutes les infos sur cette page !
Références :
- fr.wikipedia.org/wiki/Migration_des_insectes
- fr.wikipedia.org/wiki/Migration_des_papillons
- Richard D. & Maquart P.-O. (2023) La vie des papillons d’Europe . 240p. Delachaux et Niestlé
- www.bbc.co.uk/programmes/articles/3Dw4zb96cNMKBhRVf66w7y0/queen-of-the-arctic
- fr.wikipedia.org/wiki/Insecte_c%C3%A9cidog%C3%A8ne
- L. Fahrenholz et al. (1989) Thermoregulationof the honeybee-hive and heat production of caste members. J Comp Physiology B (1989) 159: 551-560
- mffp.gouv.qc.ca/jeunesse/hiver-insectes/#:~:text=Les%20insectes%20n'hibernent%20pas,de%20jour%20et%20d'obscurit%C3%A9.