La diversité de plantes pour atténuer les effets de certains pesticides chez les abeilles est-elle suffisante ?
Le laboratoire de zoologie de l’université de Mons est l’une des meilleures équipes dans le domaine de la recherche sur les abeilles. Ils étudient leurs écologies, leurs fonctionnements et ce qui les menace. La récente étude de Barraud et al. (2020) a testé les effets de l’imidaclopride1 sur des micro-colonies2 de bourdons nourries avec une alimentation plus ou moins riche. Elle nous en apprend plus sur l’effet de ces pesticides sur les bourdons et pourquoi il est important de continuer les efforts en faveur de leur diminution. En voici un petit résumé.
Contexte :
Les abeilles forment un groupe d’environ 20 000 espèces dans le monde. Elles participent à la pollinisation de la grande majorité des plantes à fleur mais sont malheureusement en danger. Les bourdons, qui font partie des abeilles, représentent 1/3 des espèces en déclin.
Les raisons de ce déclin sont multifactorielles et résultent, entre autre, de la perte d’habitats, des plantes invasives, des maladies, du changement climatique ou encore de l’agriculture intensive.
L’agriculture de ces 70 dernières années n’a fait que répondre à la demande croissante en nourriture mais engendre beaucoup de perturbations du milieu qu’il soit paysager ou chimique avec l’utilisation des pesticides.
Malgré toutes les mesures prises actuellement, les pesticides peuvent subsister sous forme de traces dans le pollen et le nectar des plantes cultivées et peuvent donc être indirectement ingérés par les abeilles et ramenés à leur nid. Une fois dissouts dans les eaux souterraines, ces pesticides peuvent être trouvés à un taux étonnamment élevé dans le pollen et le nectar des fleurs sauvages proches des cultures traitées.
Plusieurs études ont montré que les pesticides peuvent impacter les bourdons sur plusieurs processus vitaux (croissance de la colonie, développement des organes génitaux, production de nouvelles reines) tout comme leur capacité à récolter du pollen et du nectar. Leurs capacités de mémorisation sont aussi impactées alors que celles-ci sont un atout indispensable pour les bourdons.
En parallèle de l’utilisation des pesticides, l’agriculture intensive a également diminué la richesse botanique en installant de grandes surfaces de monocultures.
Les interactions entre la nutrition et les pesticides ont rarement été étudiées, les auteurs s’y sont donc intéressés en prenant le bourdon terrestre (Bombus terrestris), qui est très commun chez nous, comme modèle.
Les bourdons ont été nourris avec trois alimentations de qualités nutritives différentes. Ils ont également reçu un pesticide (l’imidaclopride ; Confidor 200 SL®, Bayer Crop Science) à des concentrations différentes : pas de pesticide (groupe contrôle), 0.002 g/L (dose réaliste que l’on peut observer dans les champs traités) et 0.02 g/L (dose élevées pour observer l’effet d’un surdosage).
Résultats :
Les résultats de l’étude montrent que le pesticide influence la prise de pollen et de sirop (syrup collection et pollen collection) mais aussi que les effets dépendent de l’alimentation reçue. Un effet négatif marqué est également constaté sur le développement de la colonie (brood mass) et sur l’efficacité du pollen3 (pollen efficacy).
Enfin, les auteurs remarquent que la richesse de la diète ne suffit pas pour supprimer les effets négatifs de l’imidaclopride.
Dans leur interprétation des résultats, les auteurs indiquent que ces effets peuvent être accentués en conditions réelles, à cause de la diminution des capacités d’apprentissage des bourdons qui est un réel atout lorsqu’ils doivent butiner une multitude de plantes différentes, et de la perturbation de leur orientation.
Dans cette étude, l’imidaclopride semble également diminuer les capacités reproductives comme la ponte. Cependant aucune étude ne semble montrer un effet direct sur les ovaires, il est donc plus probable que ce produit agisse sur les liens sociaux qui sont également très importants dans la ponte, en perturbant le système neurologique des bourdons.
Conclusion :
Malheureusement, une alimentation plus riche ne semble pas avoir d’effet positif par rapport aux effets du pesticide utilisé dans cette étude.
Bien que la diversité des plantes soit indispensable car elle est bénéfique pour l’immunité des pollinisateurs, à la bonne santé des colonies et pour la biodiversité d’une manière générale, cette mesure n’est pas suffisante pour contrebalancer les effets négatifs liés aux pesticides. Il est même alarmant de constater que les effets positifs d’une alimentation de bonne qualité, sans pesticides, sont complètement anéantis en présence d’imidaclopride.
Dans une stratégie de préservation des pollinisateurs, il est donc primordial de réduire l’utilisation de certains pesticides dans les cultures. L’imidaclopride a été interdite en Europe mais d’autres molécules au mode d’action similaire continuent d’être produites, il est donc indispensable de continuer les efforts de surveillance de ces composés et de réduire leur utilisation.
1 L’imidaclopride est un pesticide de la famille des néonicotinoïdes.
2 Les micro-colonies de bourdons sont des élevages très utilisés dans la recherche en laboratoire. Ce sont des petites colonies obtenues au départ de quelques ouvrières dont une qui devient une reine. Les micro-colonies ont été approuvées comme étant représentatives du comportement d’une colonie normale de bourdons.
3 Dans cette étude, l’efficacité d’un pollen correspond au rapport entre la masse des progénitures et le pollen collecté. Un pollen efficace engendrera une grande masse de progénitures avec peu de pollen.
Article original:
Alexandre Barraud, Maryse Vanderplanck, Sugahendni Nadarajah, Denis Michez.
The impact of pollen quality on the sensitivity of bumblebees to pesticides
Acta Oecologica 105 (2020) 103552
Pour plus d’informations sur le laboratoire de zoologie :
https://sharepoint1.umons.ac.be/FR/universite/facultes/fs/services/institut_bio/zoologie/Pages/default.aspx
http://zoologie.umons.ac.be/index.html
http://zoologie.umons.ac.be/hymenoptera/default.asp