Depuis quelques années, des projets d’implantations de « micro-forêts » fleurissent un peu partout. Tant chez nos voisins français que sur le territoire wallon, l’engouement pour ces tiny forests – appelées aussi forêt de Miyawaki – est tel que de nouveaux chantiers sont déjà planifiés. Face au phénomène des micro-forêts, le Service Public de Wallonie (le DEMNA) a décidé d’étudier l’application de cette méthode dans nos contrées tempérées et d’en émettre un avis. Profitant de cet avis, nous avons choisi de vous faire le point sur la question.
Tout d’abord, de quoi s’agit-il ?
Akira Miyawaki, botaniste japonais, a mis en place une méthodologie pour reconstituer des milieux forestiers en s’inspirant des dynamiques naturelles de (re)colonisation forestière. Sa méthode permet de restaurer des forêts indigènes à partir d’arbres natifs sur des sols sans humus, très dégradés ou déforestés. Miyawaki cherche à accélérer le processus de cicatrisation écologique, et retrouver ainsi rapidement des forêts de protection contre des risques (tsunami, cyclones, éboulements, …).
La méthode Miyawaki consiste donc à réaliser des plantations denses, de l’ordre de trois « arbres » (ou plutôt 3 jeunes plants ligneux) par m² sur une « petite » superficie (quelques centaines de m²), cela après une importante préparation du sol (fertilisation organique par fumier, compost, apport de sciure). Il faut ensuite arroser et pailler, puis effectuer des retours réguliers les trois premières années pour le désherbage des adventices et l’arrosage (Muller 2021). La plantation est alors considérée comme autonome, évoluant spontanément pour atteindre un aspect proche d’une forêt mature au bout de 20 ans, c’est-à-dire cinq à dix fois plus vite que le ne ferait une forêt « classique ».
Le choix des essences se fait en se rapprochant de celles qui devraient pousser naturellement sur le territoire ciblé. Dans nos régions tempérées, on trouve le cortège d’arbres feuillus et arbustes « classiques » (cfr Liste des essences indigènes de Wallonie - AGW du 24 mars 2011).
Depuis les tropiques jusqu’aux zones tempérées d’Europe: des végétations et des climats différents
À ce stade, nous attirons déjà votre attention : nos régions tempérées sont naturellement moins riches en espèces que les forêts subtropicales humides, régions d’où provient la méthode [2] . De même, le climat est très différent entre ces deux régions. En effet, en région tempérée, on observe des températures et des précipitations moyennes annuelles beaucoup plus basses qu’en région subtropicale. Ces deux paramètres sont d’une grande importance sur le développement des végétaux. Une même méthode ne peut donc pas donner des résultats identiques sur des milieux si différents.
Peu de recul et d’études scientifiques en Europe
Les défenseurs de la méthode, comme l’entreprise UrbanForest en Belgique ou MiniBigForest en France, avancent de nombreuses promesses : biodiversité accrue (20x), réduction jusqu’à 50 % de particules fines, 2 degrés de moins à proximité, gestion des eaux, poumon vert, espace de bien-être, d’inspiration, de pédagogie et de ressourcement pour les habitants.
Or, alors qu’il existe de nombreuses études au Japon, en Inde ou en Chine, la littérature scientifique est très pauvre pour l’Europe. Une des seules études robustes concerne plusieurs plantations réalisées en Sardaigne, en 1998 [2].
L’avis du DEMNA (Département d’Etudes du Milieu Naturel et Agricole – Service Public de Wallonie)
La conclusion de leur analyse est sans appel : la méthode ne se révèle pas efficace pour répondre aux défis qu’elle ambitionne de relever.
De nombreux slogans abusifs accompagnent très souvent cette méthode de plantation de bosquets, conduisant à une désinformation. En effet, implantées sur de petites surfaces, ces plantations ne sont en réalité pas suffisamment grandes pour aboutir à la constitution d’un écosystème forestier, d’une grande complexité. On pourrait dire qu’il s’agit juste de mots, mais les services rendus par un bosquet ou une forêt ne sont pas comparables, et cet amalgame conduit à des raccourcis erronés.
Un résultat plus rapide, mais lequel ?
Au-delà de la désinformation, l’inconvénient majeur relevé par le DEMNA provient de la densité excessive de plantation. Peut-on de nos jours se permettre de « sacrifier » autant d’individus (qui ont des coûts de production, de transport, …) pour aboutir à une croissance plus rapide des sujets plus compétitifs ?
Récemment, les Capitales Françaises de la Biodiversité proposaient un webinaire « Arbre et Forêts ». Annabel Porté, chercheuse à l’Université de Bordeaux, nous rapportait des éléments issus de l’étude des plus « vieilles » micro-forêts européennes établies en 1998 selon cette méthode (en Sardaigne). Cette étude permet de chiffrer ces pertes qui varient de 61% à 84%. En ces temps de pénuries d’arbres, ce sont autant de sujets sacrifiés qui ne pourront pas participer à occuper d’autres surfaces de haies, bocages ou forêts nouvelles.
De plus, le DEMNA poursuit en précisant qu’on connait depuis longtemps les successions naturelles des espèces dans la dynamique de reforestation. Cette dynamique naturelle aboutit à éliminer naturellement certaines espèces. Le DEMNA pose donc la question de l’utilité d’introduire ces espèces moins compétitives qui disparaitront assurément avec cette méthode.
Ensuite, les arbres grandissent effectivement plus vite en hauteur qu’une plantation « classique ». On obtient un couvert végétal avec un effet visuel rapide, mais de quelle qualité? En raison d’une compétition très élevée, ces arbres auront un petit houppier et des troncs de plus faible diamètre. Ils seront moins stables et auront une résistance moins grande (vent, neige, …).
Enfin, ce que nous rapporte Annabel Porté, ces arbres présentent moins de branches et de densité de feuilles. Or ces éléments prennent part à des processus comme l’absorption du carbone ou le rafraichissement de l’atmosphère . Les micro-forêts ne répondent donc pas mieux aux rafraichissements des ville ou stockage de carbone que d’autres projets de végétalisation.
Une biodiversité plus importante ?
Des bénéfices sur la biodiversité sont souvent mis en avant sans précision, ou bien sans études scientifiques à l’appui. Annabel Porté interroge : « De quelle biodiversité parle-t-on, et par rapport à quoi ? » Un parking, une prairie, une forêt ?
Si l’on part d’un parking, de par la végétation importée et les potentiels refuges que peuvent offrir ces « micro-forêts », la biodiversité devrait être favorisée par rapport à un milieu imperméabilisé ou très dégradé, pauvre en biodiversité, sans pour autant être similaire à un écosystème forestier. Le gain sera moins certain si l’on transforme une friche urbaine en une micro-forêt. En effet, les friches urbaines peuvent être très riches en biodiversité.
Par contre, les études sur les micro-forêts en Sardaigne montrent qu’il peut y avoir un effet positif sur les oiseaux, mais pas sur les insectes ou les chauves-souris. (Brunbjerg et al. 2018).
La chercheuse précise qu’il faudra encore du recul et d’autres études pour apporter plus de précisions quant aux impacts de ces projets sur la biodiversité.
Des effets bénéfiques ?
Il y a tout de même des effets positifs : un effet visuel rapide, une mobilisation citoyenne et une couverture médiatique importante. Mais pour le DEMNA, à l’analyse de 21 projets en Wallonie, la méthode n’est pas adaptée. Elle est beaucoup plus coûteuse que des plantations classiques pour des résultats incertains et ne permet pas de répondre aux défis environnementaux. Dans un contexte de tensions budgétaires et pour l’approvisionnement en plants forestiers, cet aspect est non négligeable.
Pour conclure :
Avant de vous lancer dans la mise en place d’une micro-forêt Miyawaki, nous vous conseillons de prendre en considération tous ces aspects et de les mettre en relation avec le ou les objectifs visés : sensibilisation citoyenne, biodiversité, coût, adaptation au changement climatique, etc.
Voici quelques questions à vous poser :
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=> Pour aller plus loin, consultez l’avis du DEMNA
Autres ressources :
- Castagneyrol B., Porté A., Plomion C., 2021. Méthode Miyawaki : Pourquoi les « microforêts » ne sont pas vraiment des forêts. The Conversation, 24 février
- Cycle de webinaires "Arbres & forêts" | Capitales Françaises de la Biodiversité.
- Porté A., Université de Bordeaux, « Vous avez dit micro-forêt urbaine ? Concept et questions » (Présentation)
- Schirone, B., Salis, A., & Vessella, F. (2011). Effectiveness of the Miyawaki method in Mediterranean forest restoration programs. Landscape en Acological Engineering, 7(1), p 81-82.
- Segur F. (2022). A quoi correspond vraiment la notion de "forêt urbaine" ? Petit lexique à l'usage des nouveaux reboiseurs de villes, Espace public & paysage, janvier février 2022, n°222, p.8-9.
[1] « Vous avez dit micro-forêt urbaine ? Concept et questions » - Présentation de Annabel Porté de l’Université de Bordeaux
[2] Schirone, B., Salis, A., & Vessella, F. (2011). Effectiveness of the Miyawaki method in Mediterranean forest restoration programs. Landscape en Acological Engineering, 7(1), 81-82.