Vespa Velutina nigrithorax : Il se livre comme jamais !
Les frelons asiatiques ne cessent de faire parler d’eux depuis leur entrée en Europe et, plus spécifiquement, sur le sol belge, en 2016. Véritable fléau des apiculteurs et sujets de nombreuses craintes justifiées, ils sont principalement actifs de mars à octobre. Nous vous parlions déjà d’eux, dans l’article “Des frelons particulièrement actifs : focus sur cet insecte mal connu”. Nul doute que cette année vous les retrouvez encore dans les médias !
Notre équipe a souhaité aller plus loin dans la réflexion portée au frelon asiatique au travers d’un article qui invite à la réflexion et au recul sur cet insecte qui a aussi un rôle à jouer dans les écosystèmes. Abordé selon le point de vue du frelon, ce texte met en lumière un autre regard sur l’espèce. Nous vous proposons dès lors de découvrir sans tarder l’interview d’un frelon nommé Jules, croisé lors d’une inspirante promenade.
Entretien exceptionnel de “Jules Velutina”, héritier de la mémoire collective de ses ancêtres (débarqué par conteneur sur sol français en 2004) et représentant officiel de la communauté des frelons asiatiques de Belgique (CFAB), espèce invasive, avec tous les impacts qu’on lui connaît sur notre biodiversité.
Ce matin, au pied d’un chêne, je rencontre “Jules Velutina”. Souvent présent dans l’actualité, désireux d’un droit de réponse pour nuancer quantité d’articles rédigés au sujet de son espèce, c’est tout naturellement que nous avons accepté.
Jules, piquons directement dans le vif du sujet. Comment vivez-vous votre réputation d’ennemi public, cette “célébrité de la peur” ?
Pas très bien. Au début, on s’est dit le changement fait peur, ça passera. Mais, ça ne se tasse pas. Pourtant, on souhaite une cohabitation apaisée, puisque personne ne peut rembobiner.
Au lieu de massacrer tout ce qui vole, il faut apprendre à nous connaître. Il parait qu’on est célèbre, mais on nous confond encore trop souvent avec notre cousin européen, jaune vif criard et démodé, ou d’autres (Voir la fiche d’aide à l’identification) . Alors, que depuis des lustres, on a eu le tact d’opter pour des tons sombres et des anneaux jaune-orangés. Le tout avec une plus petite taille, pour plus de discrétion. Résultat des courses, en voulant s’en prendre à nous, c’est tout un tas d’autres espèces, dont bon nombre de pollinisateurs, qui sont malmenées et donc, in fine, notre biodiversité (voir le paragraphe “Vous nous en dites plus").
Puis, on est décrit comme agressif et mortel. Alors, oui, avec nous, le mythe de l’humain invincible peut s’effondrer. Votre écrivain, Christophe Bataille, en parle très poétiquement dans son livre “La Brûlure”. Il suffit d’une intrusion trop proche du nid et la colonie passe en mode défense. Une attaque collective peut être dangereuse, voir nécessiter une hospitalisation d’urgence (en savoir plus sur les dangers du frelon). Mais, en passant, on n’est pas les seuls. Et, honnêtement, vous feriez quoi, vous, si on s’en prenait à votre village tout entier ? Ça mis à part, on reste des personnages pacifiques. En solo, on préfère rentrer pépère plutôt qu’attaquer seul.
Il y a aussi le ramdam autour de nos piqûres (voir l’onglet piqure http://biodiversite.wallonie.be/fr/le-frelon-asiatique.html?IDC=5999), alors qu’elles ne sont ni plus dangereuses ou venimeuses que celle d’une guêpe ou d’une abeille (voire un peu moins). Bon, plus douloureuses, c’est vrai ! C’est à cause de l’aiguillon de notre dard, qui est plus long. Mais notez-le pour vos lecteurs, nos consœurs ont des tendances, décrites dans votre littérature scientifique, comme plus agressives que nous, au quotidien.
Et, on nous ennuie à cause de notre régime alimentaire “carnivore”. C’est vrai, les abeilles, les mouches, les guêpes, les papillons, ... tout y passe, mais c’est pour les larves principalement. On a bien essayé de leur organiser des réunions anonymes “30 jours sans abeille, l’essayez, c’est l’adopter”, les diètes “sans abeille, je bourdonne plus léger” ... Les magazines en disent beaucoup de bien. Mais rien n’y fait, le régime végétarien ne permet pas à nos petits de survivre. Alors, on assume notre place dans la chaîne alimentaire, on chasse pour eux et pour nous, les adultes, c’est régime plutôt sucré (miellat, nectar, miel ou chaire de fruits à l’automne), avec quelques exceptions (abdomen d’abeilles).
2 articles pour en savoir plus sur le régime du frelon asiatique : | |
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Mais, vous comprenez cette levée de boucliers liées au carnivorisme aigu de vos larves ?
Oui et non ! Oui et non !
Quand on s’en prend aux guêpes ou aux mouches, on ne nous dit rien. Question réputation, elles ne sont pas gâtées non plus, entre les “bzzz bzzz” de l’une et les piqûres de l’autre. Mais quid de leurs services à la communauté ? Vous saviez que les mouches sont de vraies nettoyeuses du sol (décomposition de la matière organique garantie) et que les guêpes régulent de nombreuses populations d’insectes ? Et cerise sur le gâteau, elles pollinisent !
Par contre, comme les abeilles et les papillons bénéficient d’une cote de popularité bien plus élevée, quand on s’y frotte, on s’y pique. Attention, au propre, comme au figuré ! Des histoires atroces nous reviennent, les ados les racontent déjà aux larves avant le coucher du soleil : l’abeille commencerait à s’adapter, en jouant du nombre, elles attaquent des camarades, les pourchassent et les empoissonnent à coût de venin. Je vous épargne les insomnies collectives ... Si ça se confirme, on est mal ! Mais, heureusement, il ne s’agit, pour le moment, que d’incidents isolés.
Et puis, même si c’est vrai qu’on perturbe le travail de pollinisation de certains confrères, notre famille, les Vespideae, y contribuent également. Notre grande taille permet un transport de pollen non négligeable.
Jules, les services publics sont loin de rester inactifs face à votre présence, ça, vous pouvez l’entendre ? Vous suivez l’actualité à ce sujet ?
Bien sûr, c’est de bonne guerre et ça nous challenge. Ils soutiennent des organismes pour limiter notre expansion, les dégâts qu’on vous cause et les craintes qu’on génère (en apiculture, en santé publique...).
Prenez, la Wallonie par exemple, les services publics en l’occurrence la Cellule interdépartementale Espèces invasives (CiEi), sont très actifs. Depuis 2017, ils appuient le CARI & le CRAW (Centre Recherche Agronomique wallon) qui s’activent à former et informer les personnes de terrain, directement impactées par notre présence, ou encore l'UFAWB (Union des fédérations d’Apiculteurs de Wallonie et de Bruxelles) pour le volet neutralisation de nos nids sur le terrain et information aux apiculteurs. 2 J’ai lu qu’en 2023, on leur avait coûté 267.000 €.
Mais ces efforts n’ont pas stoppé notre progression. La destruction systématique de nos nids n’est plus envisagée et on s’en réjouit. De lutte, le mot d’ordre est passé à prévention et cohabitation, avec comme ligne de conduite :
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Diminuer localement notre densité pour limiter les nuisances que nous engendrons ;
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Concentration sur les nids problématiques en termes de santé publique (construits à proximité du sol, par exemple) ou d’apiculture.
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Eviter le piégeage des fondatrices au printemps, considéré comme peu efficace (piégeage de peu d’individus et peu d’effet sur le nombre de colonies effectivement fondées) et à l’origine de destruction accidentelle de nombreux autres insectes !
En France, ils ont décidé, depuis 2022, que le plan de lutte nationale devait inclure l’ensemble de la population, pas uniquement le monde apicole. Il faut dire que les pertes estimées, pour la filière, s’élèvent à presque 12 millions d’euros.
On est impactant et nombreux (à raison de 1700 individus pour des nids pouvant atteindre 1m de diamètre). On pique là où ça fait mal, on “coûte”. Donc, oui, on comprend la lutte, la chasse... C’est le jeu. On aimerait juste qu’elle résonne autrement, un peu plus dans la direction prise par la Wallonie.
Vous nous en dites plus ?
Il y a des pratiques qu’il faut avoir le courage de bannir et là je parle pour beaucoup d’insectes. Je pense surtout au piégeage à “la va-vite", pratiqué par beaucoup, avec des pièges à noyade, sous couvert de nature ou de biodiversité. Ça, ça tue tout le monde : abeilles, mouches, guêpes, papillons ... Zéro distinguo. C’est l’écocide garanti. Ça a toujours existé vous me direz, mais est-ce que c’est une raison pour continuer ? Et pour nous, être la base d’une utilisation intensive de ces gadgets, c’est dur à assumer psychologiquement : entre le plastique, les camarades qui meurent pour rien, l’esthétique des jardins qui en prend un coup ... On préfère mourir l’âme en paix dans un piège sélectif ou qui tente de l’être.
Piégez-nous, mais préservez la biodiversité. Le CARI a édité une fiche “protection des ruchers et réduction du stress”, où vous trouverez toutes les informations nécessaires sur les réducteurs d’entrée, les muselières... Mais attention, l’utilisation des pièges à noyade est à proscrire. Ces dispositifs peuvent en effet entraîner des conséquences néfastes significatives sur la biodiversité. Ils sont non sélectifs (même avec un flotteur ou un cocktail artisanal) et capturent de nombreux pollinisateurs, par exemple les reines de bourdon indigènes. Retrouvez toutes les fiches du CARI. |
Mais que peuvent faire les citoyens ou les apiculteurs qui nous lisent ?
Je dirais de s’en tenir aux recommandations d’experts, dont je viens de vous parler, qui prennent en compte l’ensemble du vivant.
Puis, rester créatifs en respectant la nature ! Certains s’amusent à planter des graminées qui rendent l’accès à l’ouverture de la ruche compliqué, surtout avec notre technique de vol stationnaire. Ils nous empêchent de circuler sous les ruches, généralement surélevées, en installant branchages et autres. C’est évidemment, tout bénéfice pour les autres insectes et la ventilation sous la ruche ne semble pas altérée, mais, ça perturbe nos “buffets” de fin d’été.
Photos : Jean-Nicolas Arnould – apiculteur
Jules, en plus des dégâts qu’on vous reproche, c’est aussi la légitimité de votre présence qui est souvent remise en cause. Parlons de votre arrivée en Europe : planifiée, accidentelle ou forcée ?
Accidentellement forcée, je dirais. On vient d’Asie continentale. L’hiver, on aime le passer au chaud et au sec. L’installation dans une poterie, avait pour but d’hiverner à l’abri, pas de prendre un aller simple “direction le sud de la France, avec passage au Havre”. Au pire, se réveiller dans une enseigne horticole, installée en bordure des mers de Chine, pourquoi pas ? On a une grande capacité d’adaptation. Mais tout de même de notre propre chef, jamais on ne se serait permis le voyage. Vous imaginez la facture en compensation CO2 ? Mais, de nos jours, tout circule si vite et partout, on n’a rien vu venir. Ils nous ont chargé dans un conteneur et hop !
Mais, vous êtes restés ?
Oui, finalement, le climat (continental) est fort semblable à ce qu’on connaissait et il évolue dans notre sens. La nourriture est abondante, on découvre de nouvelles saveurs. C’est parfait pour la cellulose des nids et de toute façon, qu’on peut construire presque partout. Mais, tout n’est pas rose, on est souvent malmenés, pour le dire poliment. On sait qu’on a mauvaise réputation, ce n’est pas comme si on ne faisait de tort à personne.
Et malgré ça, vous vous en sortez ?
Les pertes sont nombreuses. Mais ça, ça va, c’est le règne animal, “l’histoire de la vie, le cycle éternel”... Alors, on tient bon, on continue de se répartir, malgré la lutte, les pièges, les rumeurs...
Conscient de la place de sa famille dans les écosystèmes, obligé de s’intégrer dans un milieu pas réellement choisi, Jules s’apprête à nous quitter, le thorax et les ailes légèrement tremblotants de tristesse, mais content de ce moment d’échange.
Pour conclure
Nous espérons sincèrement que cet article vous a plu. A travers celui-ci, nous souhaitons rappeler les impacts de l’introduction d'espèces exotiques envahissantes (EEE) (forte perturbation des écosystèmes, problèmes sanitaires, économiques ...), qui ne devrait jamais être faite à la légère. Et nous voulons vous apporter un regard différent pour vous permettre de mesurer l’importance de bien reconnaitre les espèces d’hyménoptères ou encore de repérer lorsqu’il est opportun ou non d’agir (distance et/ou hauteur d’un nid, proximité de personnes à risques, etc.). Au travers de ses missions l’asbl Adalia 2.0. vise la préservation de tous les pollinisateurs et il est à ce jour utile de mettre en exergue le fait que certaines actions menées à l’encontre des frelons asiatiques cause préjudice à d’autres espèces qu’il nous faut protéger.
La lutte contre le frelon asiatique doit être une action réfléchie et accompagnée par des professionnels, auxquels nous vous invitons à faire appel, pour évaluer au mieux la situation à laquelle vous faites éventuellement face.
Un article de Sarah Ruidant, animatrice.
Références :
Vidéo :
- La vérité sur les envahisseurs Des animaux et des plantes nuisibles ? (parties 1et 2) réalisée par Dominique Hennequin et Cyril Ruoso, et produite par NOMADES, diffusée sur ARTE (Janvier 2024).
Articles :
- https://www.sillonbelge.be/12276/article/2024-02-06/lutte-contre-le-frelon-asiatique-nouvelles-perspectives-pour-2024
- http://biodiversite.wallonie.be/servlet/Repository/?ID=28696
- https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/invasion-du-frelon-asiatique-en-france-le-cout-de-la-lutte
- https://www.adalia.be/actualites/articles/en-cette-fin-dete-les-frelons-sont-particulierement-actifs-focus-sur-cet
- https://www.cra.wallonie.be/fr/lutte-contre-le-frelon-asiatique-bilan, consulté le 18 mars 2024
- https://www.cra.wallonie.be/fr/carte-des-operateurs-frelon-asiatique
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/29/contre-le-frelon-asiatique-les-apiculteurs-appellent-a-la-mobilisation-generale_6219215_3244.html, consulté le 18 mars 2023
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Vespa_velutina
- https://biodiversite.wallonie.be/fr/le-frelon-asiatique.html?IDC=5999
- https://www.cari.be/
- https://www.cari.be/Frelon-asiatique-fiches-infos.html
- https://www.cari.be/medias/actuapi/actuapi70.pdf
- https://www.planeteanimal.com/a-quoi-servent-les-mouches-3714.html
- https://www.gerbeaud.com/faune/guepes-utiles,1617.html
- http://environnement.sante.wallonie.be/home/lenvironnement-sante/risques-emergents/especes-invasives/le-frelon-asiatique--il-est-arrive-chez-nous/zone-col4/texte-riche.html
- https://www.parc-oise-paysdefrance.fr/wp-content/uploads/publications/Plaquettes_informations/fiche-frelon-asiatique.pdf
- file:///C:/Users/virgi/Downloads/Recommandations_FA_fr_2024.pdf
- https://frelonasiatique.mnhn.fr/biologie/
Livre :
- “La Brûlure” de Christophe Bataille (Grasset 13 janvier 2021)