Faut-il éclairer à tout prix ?
« Jour ! nuit ! jour ! nuuiiit ! jouuur ! nuit ! »
Ainsi Jacquouille la Fripouille découvrait les joies et la facilité de l’éclairage électrique.
Apparu au XIXe, l’éclairage électrique a été une réelle révolution dans la facilité de s’éclairer et d’illuminer l’espace public.
Si l’éclairage de certaines zones existait bien avant les ampoules électriques, l’utilisation de l’électricité a fait entrer la nuit et ses habitants dans une nouvelle ère qui n'est pas près de s’arrêter. Avec l’évolution des techniques, l’espace public se transforme de nuit en une constellation de lampadaires qui éteignent progressivement nos étoiles. L’éclairage devient même un outil de communication avec des publicités nocturnes, l’éclairage de vitrines de magasins, d’enseignes lumineuses ou la mise en avant de certains éléments du patrimoine.
Insouciants, nous sommes alors tous heureux de pouvoir profiter du monde de la nuit sans crainte de dégrader l’environnement. Un peu de lumière, ça ne peut pas faire de mal non ?
La lumière, une pollution insoupçonnée
A l’image d’un objet caché et pourtant à la vue de tous, la lumière artificielle omniprésente dans notre paysage nocturne est une pollution invisible car ses effets sont insoupçonnés et les impacts de l’éclairage ont souvent été minimisés, voire ignorés.
Et pourtant… De plus en plus étudiés, les effets de la pollution lumineuse s’avèrent être nombreux et toucher des groupes variés d’organismes vivants : insectes, oiseaux, poissons, plantes… et l’être humain !
Mais comment la lumière, a priori inoffensive, peut-elle autant impacter nos écosystèmes ?
Avant que l’homme ne prenne possession de la nuit, la terre était régie par un cycle immuable : les alternances entre le jour et la nuit. Les organismes vivants sur notre planète ont évolué avec ce cycle et les successions entre une phase diurne, éclairée par le soleil, et une phase nocturne au mieux éclairée par une pleine lune et les étoiles.
Pour les animaux, il en résulte deux principales façons de vivre : les animaux diurnes (actifs le jour) et les animaux nocturnes (actifs la nuit). De ce cycle jour/nuit découle le rythme circadien (rythme biologique qui dure 24h) qui influence toute une série de processus physiologiques comme les cycles activité/veille et la production d’hormones.
L’éclairage artificiel perturbe ce rythme circadien, ce qui peut engendrer des problèmes au niveau de la période d’activité, des besoins en ressources, de l’humeur, de la santé ou même de la reproduction.
De plus, dans nos climats tempérés, la durée du jour, et donc de la nuit, va aussi changer au cours d’une année avec de longues journées en été et de longues nuits en hiver.
Le cycle annuel des plantes est en partie régulé par la durée de l’ensoleillement. L’éclairage artificiel perturbe donc la plante dont les signaux lumineux qu’elle reçoit lui indiquent une mauvaise période de l’année. En quelque sorte, c’est son horloge interne qui est perturbée.
Il en résulte des défoliations tardives (perte des feuilles), des débourrages précoces (ouverture des bourgeons pour former des feuilles ou des fleurs) ce qui peut engendrer des problèmes au niveau de l’hivernation de la plante et l’affaiblir à plusieurs niveaux.
Par ailleurs, il apparait que le paramètre déterminant dans cette photoréception soit la durée d’éclairement et non son intensité. Le moindre éclairage est donc une potentielle source de pollution.
Il est également important de noter que la pollution lumineuse a un gros impact sur les pollinisateurs nocturnes (chez nous, les papillons de nuits entre autres) et engendre une forte diminution de la pollinisation.
La lumière : une barrière immatérielle ou piège mortel
Au-delà de la perturbation des cycles jour/nuit, la lumière, bien qu’immatérielle peut fragmenter les habitats.
Cette conséquence est surtout remarquée chez les animaux lucifuges (qui fuient la lumière). On rencontre ce phénomène chez les chauves-souris qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne sont pas toutes attirées par les lampadaires remplis d’insectes, mais aussi chez des insectes, des batraciens, des gastéropodes et certains poissons.
Car oui, la pollution lumineuse affecte également les poissons ! Certaines espèces ne se déplacent que dans l’obscurité et la réverbération de l’éclairage le long d’un pont peut former une barrière infranchissable.
Les impacts de cette fragmentation sont divers mais on peut citer une diminution du territoire, une diminution des ressources disponibles, une diminution de la mobilité des espèces et une diminution de la reproduction.
Dans d’autres cas, certains animaux, dont beaucoup de pollinisateurs et d’oiseaux, sont attirés par la lumière.
On estime qu’environ 150 insectes sont tués par nuit, par lampadaire. Ces derniers sont attirés par la lumière qu’ils prennent comme point de repère. Les moins chanceux finissent par mourir d’épuisement, brulés par la lampe ou chassés par un prédateur.
Les oiseaux migrateurs nocturnes (2/3 des oiseaux migrateurs) sont quant à eux déviés de leur chemin migratoire. Ils finissent par épuiser des ressources précieuses pour leur voyage et peuvent mourir d’épuisement.
Une étude américaine a montré que l’extinction des lumières d’un building réduisait de 88% le nombre d’oiseaux tués.
Lumière et santé humaine :
De plus en plus d’études montrent l’impact de la lumière artificielle nocturne sur la santé humaine.
La perturbation du rythme circadien est la cause principale de toute une série de perturbations hormonales qui jouent sur l’humeur, le cycle activité/sommeil, ou encore la régénération cellulaire directement impliquée dans les processus tumoraux. Des liens peuvent d’ailleurs être faits entre pollution lumineuse et certains cancers, celui du sein étant particulièrement étudié.
Qui est impacté et comment ?
Comment agir en tant que citoyens ?
Certains gestes simples peuvent participer à la réduction de la pollution artificielle nocturne.
Bien qu’agréables il faut repenser nos besoins en termes d’éclairage. Est-il si important d’éclairer nos façades la nuit ? Nos petites lampes nocturnes sont-elles si indispensables à l’esthétique de notre jardin ?
Si l’éclairage est indispensable, celui-ci doit strictement être orienté vers le sol avec une chaleur ne dépassant pas les 3000K (lumière jaune-orange).
L’acceptation des nuits noires est également un pouvoir que détiennent les citoyens. C’est en effet en acceptant les décisions en faveur de la réduction de la pollution lumineuse et en étant conscient des effets négatifs de celle-ci que le citoyen peut jouer son plus grand rôle.
Comment agir dans les communes ?
Le Vademecum de la région wallonne précise quelques recommandations et champs d’actions des autorités locales.
Bien qu’il soit légitime et indispensable de veiller à la sécurité des citoyens, il est important de noter que l’éclairage public n’est pas une obligation légale ni en Wallonie ni en Belgique.
Afin de correctement évaluer l’éclairage, le Géoportail de la Wallonie propose un cadastre de l’éclairage : grâce à cet outil, il est par exemple possible de repérer les points lumineux superflus ou les zones particulièrement illuminées.
En cas de renouvellement de l’éclairage, il est important de tenir compte de ces recommandations :
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Diriger le flux lumineux strictement vers le sol
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Utiliser des lampes avec une température inférieure à 3000K (2700 à proximité des zones Natura 2000)
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Réduire la durée d’éclairage (éclairage éteint à partir de 22h entre le 1/04 et 31/10 à proximité des zones Natura 2000)
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Utiliser des lampadaires IP65
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Informer les citoyens et les usagers de la route du régime d’éclairage (surtout à proximité des zones Natura 2000)
Par ailleurs, le collège peut prendre certaines décisions comme la suppression ou l’adaptation de certains points lumineux, l’adaptation de la voirie à un environnement plus sombre à l’aide de marquages au sol ou d’une meilleure signalisation ou encore l’atténuation de l’éclairage nocturne communal.
Enfin, diverses dispositions peuvent être mises en place au travers du règlement de police :
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Interdire/limiter l’émission de lumière au-dessus de l’horizon
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Retirer/diminuer les éclairages encastrés au sol ainsi que les éclairages intentionnellement dirigés vers le haut
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Extinction des panneaux publicitaires et vitrines après 22h
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Modulation des installations extérieures de sports et de loisirs (ex : éclairage plus faible pendant les entrainements que pendant les matchs)
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Atténuation de l’éclairage autour des habitants.
Regardez aussi cette vidéo : SPW - Pollution lumineuse : quels sont les impacts et que peut-on faire en Wallonie ?
Un article de Pierre-Laurent Zerck, conseiller technique pour les professionnels.
Une thématique de l'édition 2024 de la campagne Le Printemps au Naturel
Vous êtes un gestionnaire professionnel des espaces verts ? Envie d'aller plus loin dans cette thématique ?
Retrouvez ici le compte-rendu de notre Journée Intercommunale sur la préservation des pollinisateurs !
Sources :
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Hölker et al. (2010) Trends in Ecology and Evolution, December 2010, Vol. 25, No. 12 doi:10.1016/j.tree.2010.09.007
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Kervyn T. et al. (2024). Vade-mecum pour la prise en compte de la biodiversité́ dans les projets d’éclairage public. SPW ARNE – DEMNA. 27 p.
- Rodrigo-Comino et al. (2023). Light pollution: A review of the scientific literature. The Anthropocene Review, 10(2), 367-392. https://doi.org/10.1177/20530196211051209
- Walker et al. Review Light pollution and Cancer. (2020) Int. J. Mol. Sci. 2020, 21, 9360; doi: 10.3390/ijms21249360
- Pollution lumineuse. Préserver l’environnement nocturne pour la biodiversité (2021) Administration de la nature et des forêts, Service de la nature du Luxembourg.
- Impacts environnementaux de la pollution lumineuse. ASCEN asbl Association pour la Sauvegarde du Ciel et de l’Environnement Nocturne.